Je suis, j'existe.
Mais de vivre j'ai cessé.
J'ai l'âme grise tachée d'ébène.
Âme en plomb.
Âme à la peau marbrée de bleus acquis au gré de coup reçus.
Âme meurtrie, trainée dans les ronces, écorchée au papier de verre et plongée sans délicatesse dans la chaux de vives réflexions caustiques.
Calcination.
Une âme en cendres d'avoir trop ressassé.
J'ai trainé sur des décennies mes crises d'angoisse en inertie.
Mes vertiges, mes nausées.
Je suis un trop usé à qui tout pèse.
Je porte ma bile en blindage.
Rien ne m'anime plus que l'envie de disparaître.
Je me souviens.
Le bouleversement des sens au simple contact d'une main dans la mienne.
Tomber en passion pour un regard, une voix.
M'en imprégner jusqu'à m'en bruler la cornée, m'en étourdir l'oreille.
C'était bien.
Comment a-t-elle pu m'aimer en retour, me supporter tout ce temps ?
Elle, l'âme lumineuse.
Pièce puzzle aux contours métamorphes qui épousaient les miens biscornus.
Plus rien n'a de goût désormais.
Plus rien n'a de sens.
Tout est devenu creux.
Je prolonge en reclus ma non-vie de veuvage.
Absence de vigueur, désertion d'appétit.
J'ai le moral en putréfaction.
Ma seule échappatoire est celle du sommeil.
Mais lorsque je m'écroule enfin, assommé par le marteau de la fréquence insomniaque, c'est pour plonger dans l'enfer des cauchemars que mon inconscient se plaît à décliner à l'infini.
Là, tout n'est que chaos.
Les dents se déchaussent et choient.
Tombent les chicots, chutent les quenottes.
Les monstres ressuscitent.
Maman, dans mon âme les serpents dansent.
Et quand parfois le malin génie se montre clément, m'accordant la tendresse d'une femme inconnue et que j'aime et qui m'aime, c'est pour me plonger au réveil dans le désarroi le plus dévastateur.
Souffrance
Souffrance
J'ai brisé les miroirs, fracassé les ampoules, ne voulant plus croiser ni ombre ni reflet de ma morne personne.
Dégoût.
Lucidité.
Un coup de faux dans l'estime de soi.
Je ne suis que de la viande à déchets.
De la viande avariée.
De la viande à souffrir.
Que n'ai-je été de la viande avortée ?
J'ai abandonné la station verticale pour l'horizontalité permanente d'un matelas décrépit dans un lieu dénué d'horizon.
Quatre murs à travers lesquels l'Humain s'infiltre et viole mes tympans.
Bruit de bêtes qui s'esclaffent, qui grognent, bouffent, chient et baisent à la va-vite.
Et ça se multiplie.
Et ça vêle à tout-va, surpeuplant la planète de rejetons malades.
De purs représentants de fin d'espèce qui portent eux aussi le sceau de l'infamie et se reproduiront comme des tumeurs malignes.
Ça grouille.
Ça pullule.
Je fuis comme la peste la promiscuité de ces nuisibles et demeure cloîtré dans la cellule où je me clochardise.
Je pue la solitude à plein nez.
L'exsudation.
La crasse.
Qui s'en soucie ?
En dehors de mon compagnon félin, plus personne n'est là pour sentir mes effluves, mon souffle, ou si mon cœur bat.
La porte est close.
Les amis sont partis.
Je n'attends plus rien.
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Je n'imaginais pas que ma cervelle pût résister si longtemps au vent mauvais.
Pourquoi s'acharner et poursuivre ?
À quoi bon la douleur, à quoi bon les plaisirs, puisqu'au bout du compte le néant engloutit tout ?
Autant en finir ici et maintenant.
Sans témoin, sans annonce.
Car chacun meurt comme il vit : seul.
Je souffre d'être qui je suis.
Je souffre d'être.
Je souffre.
Je.
C'est alors que je fus,
Du fond de mon mouroir
Sans eau ni pain ni rien,
Sans amour ni chaleur
Sans présence autre que
Le bruit, de mon silence.
À jamais fracassé,
À jamais déconstruit.
Voué à demeurer
Prostré, en quarantaine.