Le bonheur, enfin, ce soir a saisi
Mes doigts décharnés, noueux et tremblants.
Je goûte le fruit douceâtre et troublant
De jeux innocent - pure poésie.
D'une âme menue, la luminescence
M'émeut et me charme - Ô trouble sublime !
Le verbe muet, criant, de nos sens
Invite à l'oubli - quête de la cime.
Les mains égarées courent, anonymes,
Se trouvent, se fuient, se cherchent encore.
Fondent sur la peau, caresses intimes
Faisant frissonner l'esprit et le corps.
Les chevelures dardent leur reflets
De cuivre et d'ébène - entrelacs soyeux.
Le rouge et le noir, poète, en effet,
S'épousent le soir quand brûlent les cieux.
Sensualité, rejet des entailles.
Du jeu animal je suis à cent lieues.
Ne voulant livrer aujourd'hui bataille,
La petite mort, ce soir, n'aura lieu.
Ô nid de rondeur, ventre de Vénus,
Appel d'inertie, source protectrice !
Je m'anéantis, redeviens fœtus,
Nage vers l'aube de vie, la matrice.
Mon âme saignait, sa main l'a pansée.
Réveillé, heureux, l'enfant a souri.
Par le don de soi, l'amour a percé
La toile du temps : l'adulte a péri.
Dans l'alcôve tiède, endormis, sereins,
Reposent deux corps, lovés, immobiles.
L'hypnose louée apaise, tranquille,
La nostalgie de l'intra-utérin.
Instrumental & Vocalises
Le son clair du cristal chante l'apparition
D'une forme gracile de féminité.
Éclat transcendantal, divine incarnation :
Devant moi se profile un hymne à la Beauté.
Élégante, couchée sur ton ventre joli,
Ta main couve le vœu d'une maternité.
La figure ébauchée dans la cire amollie
De mon âme est aveu de contagiosité.
L'illusion daigne enfin m'accueillir en élu.
Voici venu l'éveil d'une autre identité.
Plongé dans les parfums subtils d'un absolu.
Aujourd'hui s'émerveille un moi ressuscité.
Instrumental & Vocalises
Mignonne, mon aimée, à tes pieds je dépose
De mes espoirs le lait, de mes tourments le fiel,
Invoquant diable et dieu pour qu'en ton corps éclose
La fleur drapée de pourpre à l'or de l'astre-miel.
Sur la toile innervée de mes sombres fantasmes
Ondule le reflet de ton corps exsudant
Le désir animal, l'appétit de l'orgasme.
Le spectre de la faute plane, décadent.
De mes vœux rougeoyants la nuit se fait complice.
Le drap que je déchire et mords boit mes sanglots.
Le vide dans ma chair de ta chair est supplice.
Que ne puis-je noyer ma carcasse en tes eaux ?
Ô toi enchanteresse muse au cœur d'enfant !
Toi que le monde effraie, que dehors effarouche.
De l'homme qui te sert, voit l'âme qui se fend,
Écartelée, pendue aux ourlets de ta bouche.
Les silences de plomb sont des secrets couloirs
Où nos êtres s'engluent et s'unissent, bercés
Du souffle d'un amour couvant dans le brûloir,
Amorçant le chaos d'une chute annoncée.
Ma douce, nous avons, un soir de février,
Bâti notre royaume hors des lois de l'espace
Et du temps. Le front haut et ceint des lauriers
Des amoureux mordant au fruit de leur audace.
Nous sommes ce château, ce ciel et ce jardin
Où nous errons sans fin, où la fécondité
De la nature fit grand silence, soudain,
Éblouie par l'éclat de ta virginité.
Quand la nuit, ma princesse, ensemence le ciel
De ses pierres, tu les cueilles du bout des cils.
Scintillant, ton regard incrusté de soleils
Prodigue à ces joyaux l'écrin le plus subtil.
Les arbres au-dehors se changent en félins
Et leurs ombres s'étirent, glissent sur nos murs.
Tu trembles, tu as peur, devinant le Malin,
Là-bas, qui a pour vœu de briser notre armure.
De crainte, mon aimée, tu ne dois point avoir.
Personne ne viendra jamais nous séparer.
Unis, nous resterons au cœur de ce manoir,
Debout, face à l'oracle des désemparés.
L'esprit clair et léger, tu fredonnes, ravie,
Tel un oiseau chantant la liberté nouvelle.
À travers les couloirs du palais de nos vies,
Tu invites la bête à t'aimer, toi, la belle.
Nous ignorons l'appel d'un feu de cheminée,
Consumés par l'ardeur du brasier interne.
Et, soudées l'une à l'autre, nos peaux calcinées
Embrasent la vie qui, à genoux, se prosterne.
Tu me tends, apeurée, la clef de ton secret
Jardin où nul encore se perdre n'est allé.
Nous prenons notre envol et scellons le décret
D'un amour éternel, sublime, inégalé.
Le château s'évanouit à l'heure où je m'éveille.
Ne reste que l'âcre saveur d'un songe enfui.
Dans mes bras un corps chaud - le tien, pure merveille -
Insuffle sa créance au douteur que je suis.
Mon ange, ton sourire est spectacle troublant.
Au pied de notre lit, rosissant d'embarras,
Git le dernier rempart, la peau de coton blanc.
Une larme de sang a roulé sur le drap.
Étoile, mon amie, princesse vagabonde,
Nous nous sommes aimés dans l'ombre d'un silence.
La fièvre, le vertige - Ô morsures fécondes ! -
Ont plongé mon regard dans un bain de jouvence.
Puis à l'aube, à regret, nous nous sommes soumis
Aux lames effilées de l'espace et du temps.
Aujourd'hui, séoarés, nos visages blêmis
Ont perdu l'éclat de nos sourires d'antan.
Par le vide de toi me voici torturé.
Je porte en creux l'écho du bonheur de l'éveil.
Une plante ne peut ici-bas perdurer.
Alimentée du seul souvenir de soleil.
Je rêve qu'à nouveau je m'endors apaisé,
Blotti dans tes bras tel un enfant sans défense.
Je veux nous vivre encore et sourire et puiser
À tes lèvres le souffle et la force et le sens.
À terre, nous gisons, les membres arrachés.
Nous élever nous est à présent interdit.
Isolés nous crachons nos attentes lynchées,
Acteurs malheureux d'une amère tragédie.
Nous sommes devenus de plume les amants,
Et nos songes parent nos cœurs de blanches ailes.
Nous fusionnons alors, lumière au firmament,
En tranchant dans nos chairs les sangles du réel.
Et voici que s'achève, ma tendre angeline,
L'hérésie fantastique, la déraison pure.
Notre Nous, ce château, succombe à la coupure.
Il exhibe, crevé, son squelette de ruines.
Merci mon bel amour pour ces heures de rêve
Durant lesquelles, nue, réchauffée de tendresse,
Mon âme d'écorché a puisé une trêve
À ton sein, soulagée du poids de la détresse.
La joie s'en est allée pour ne plus revenir.
L'espace a recouvert l'abîme atemporel.
La poitrine percée, vivant, sans avenir,
Voler je ne puis plus par arrachement d'elle.
À ce jour, du vaisseau, je renonce à la proue,
Et me fais lest en cale, marqué par l'érosion.
Jamais plus je ne veux être ni peu ni prou
De Cyrano l'égal : honnie soit la passion !
Dans mes mains luit, doré, la clef de ma cellule,
De mon enfermement, de mon choix réfléchi.
Hermétiquement clos, l'espace de ma bulle
Bientôt va s'atrophier sur mon être avachi.
J'ai perdu le goût de me forcer à sourire,
De simuler l'espoir en un simple bonheur.
Mon chant est une plainte et mon souffle un soupir.
Je vous rends, repassés, les habits de l'honneur.
Je veux me protéger, me cacher, m'isoler,
Moi que la solitude en secret terrifie.
Je pose masque à terre et m'effondre, étiolé.
Du sournois artifice à présent je fais fi.
La plaie de mes désirs charnels va suppurer
Et gangrener ce corps condamné au repli.
Ma foi dans le réel je m'en vais abjurer,
Reniant la chaleur trompeuse, inaccomplie.
Le tissu organique d'un fantasme pieux
Est le dernier refuge où le monde n'a prise.
J'ai suivi la Beauté des abîmes aux cieux
Et embrassé la vie. Mais on me l'a reprise.
Feu de l'apaisement est le sang de la terre ;
Il coule dans ma gorge et ternit mon regard,
Rideau de larmes rouges jaillies du cratère
De mon esprit poreux, déstructuré, hagard.
La geôle me réclame - fuite en mélancolie.
J'en referme la porte et avale la clef.
Les démons de l'angoisse ont mon être encerclé.
J'attends que vienne à moi la mort. Ou la folie.